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CONTES ET LEGENDES


LA VIERGE NOIRE

Texte de Daniel Honoré
Traduit en français par jean François Samlong

 

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Debout devant la statue, le jeune cafre priait comme il avait souvent l'habitude de la faire dans la journée.

-Sainte Vierge, mille fois merci pour ta grâce qui me permet de supporter chaque jour mon malheureux sort.

Sainte Vierge, fais en sorte qu'aujourd'hui un petit poisson morde a l'hameçon dans le bassin-la-nage, sinon j'aurai rien à manger. je vous salue, Marie...

Matin et soir, Mario, le jeune cafre, venait prier ainsi devant la statue en bois d'ébène de la Sainte Vierge (une vierge noire), sans oublier de mettre quelques fleurs sauvages aux pieds de la statue qu'il avait reçue le jour de son baptême...

Il faut savoir que Mario était né esclave sur une propriété d'un gros blanc.

Mais un jour, un autre gros blanc avait vu en lui un bon enfant, et le cœur sur la main, grand croyant, il avait demandé à l'autre propriétaire de baptisé Mario.

-Baptiser un enfant esclave? Mais je rêve! Pourquoi le baptiser puisqu'il restera un esclave?Et vous le savez mon cher, un esclave, ça n'a pas d'âme.

Il tint tête, peut être parce que Mario était mignon, et puis son visage reflétait une réelle intelligence.

Finalement, le maître céda à la demande, même si il pensait qu'il ne pouvait empêcher quiconque d'offrir de la confiture de la confiture aux cochons, mais il prévient son  ami que le petit cafre, baptisé ou pas, resterait attaché à sa propriété.

-Et ne croyez pas, ajouta -t-il, qu'il sera traité autrement que les autres!

Le gros blanc charitable accepta. Il accepta même de prendre à sa charge tous les frais de cérémonie : un beau costume pour Mario, de l'argent pour la paroisse.

De plus, il offrit à celui qu'il considérait comme son filleul, une statue de la vierge taillée dans du bois noir, aussi noir que Mario l'était de beau.

C'était une chance, car le maître de Mario était un mauvais blanc qui maltraitait ses esclaves, et Mario sans doute un peu plus que les autres.

 

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 Chaque jour, il recevait des coups de chabouc, même si il faisait tout ce que le commandeur désirait, parce que le maître avait toujours une remarque désobligeante à lui faire.

Très souvent, les mauvais traitements, c'était son repas du soir.

Heureusement qu'il trouvait quelque consolation dans la prière adressée à la Sainte Vierge.

 

Un jour pourtant, le maître se montra plus que cruel : non seulement il donna l'ordre de marquer le dos de Mario à coups de fouet, mais il voulut confisquer la statue.

Ce soir là, lorsque l'habitation fut dans le sommeil, le jeune cafre prit la Vierge et la serra sur son cœur en disant :

-Sainte Vierge, donne moi du courage! Protège ton enfant, Sainte Vierge!

 

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Sans bruit, il prit le paquet de linge qu'il avait préparé plus tôt, ouvrit la porte de son boucan, regarda à droite, regarda à gauche, et s'enfuit à toutes jambes.

Dans le ciel, pour que personne ne vît l'esclave partir marron dans les bois, la lune se cacha derrière un gros nuage. Mario courut, courut...Il courut jusqu'au moment où il arriva près de la Rivière des pluies.

Là, il fit une pause pour reprendre des forces. On aurait dit que tout autour de lui la nature l'attendait :

la rivière ronronnait, la forêt chantait et lui offrait du bois sec pour le feu, un gros cap lui proposait une vue inespérée sur les alentours, et la lune semblait lui dire qu'il devait s'arrêter ici où il serait en sécurité.

Le lendemain matin, le maître s'aperçut de la fuite de Mario et, fou de rage, envoya ses commandeurs à sa recherche.

-Mort ou pas, je veux que cet insolent vienne ramper à mes pieds!Allez, dépêchez-vous!

Mais les recherches n'aboutirent pas. Les journées et les semaines passèrent. Le gros blanc ne finissait pas de manger sa rage, et lorsqu'il n'en pouvait plus, il s'en prenait à sa femme.

Pendant ce temps-là, Mario organisait sa nouvelle vie.

Tout d'abord, il chercha un trou de cap où déposer la petite statue, et c'est là, qu'à genoux, il priait la Sainte Vierge.

Avec trois galets, il fit une sorte de foyer pour faire cuire ses repas.

Enfin, il inventa tout un attirail de pêche et de chasse, et construisit même un boucan où dormir.

-Sainte Vierge, merci pour la vie calme que tu m'as accordée!

 

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Mario ne mentait pas.

On aurait jamais cru qu'il pût exister une si grande tranquilité au sein de la nature, et pour la première fois de sa vie, il sut donner un sens au mot liberté.

 

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Il était libre. Libre comme le papangue qui planait dans le ciel, libre comme la brise qui, en caressant les feuilles, berçait son oreille d'une douce chanson...

Mais un jour, venant du côté du Chaudron, un chasseur poursuivit un lièvre avec son chien.

Ah! C'était une belle pièce que ce lièvre là, et le chasseur le voyait déjà en civet sur sa table, à rassasier toute sa famille et quelques invités.

-Le chenapan court vite, pensa t-il, quel dommage! 

La bête continuait à fuir à travers les hautes herbes, l'obligeant à courir aussi, kilomètres après kilomètres, si bien que le chasseur finit par se rendre compte qu'il se trouvait du côté de la Rivière des pluies.

-Traite de lièvre, j'aurai ta peau! Quand je te mangerai, tu seras un délice dans ma bouche...

Tout à coup, il vit monter une fumée bleue.

-Y'a des gens qui habitent par ici, première nouvelle! Ce sont les terres de mon ami Mr Franchin!

Il faut que j'aille voir qui ose ainsi violer sa propriété!

Le chasseur oublia un instant le lièvre que poursuivait toujours le chien et, doucement, doucement, avança en direction de la fumée.

Heureusement que le chien n'aboyait plus!

Le chasseur, dissimulé derrière un arbre, vit alors un jeune cafre s'approcher du feu. 

C'était Mario, qu'il avait déjà vu sur la propriété de son ami!

-Sapristi! J'ai peut-être loupé le lièvre, mais celui là, je ne le louperai pas!

Le jeune cafre, à quatre pattes, soufflait sur le feu. On aurait dit que ça bouillait dans la marmite.

Le chasseur, prêt à se saisir du noir marron, retint sa respiration, mais il posa le pied sur des branches sèches. Krik! Mario dressa l'oreille, et disparut.

le chasseur courut à droite, à gauche, il monta, descendit. Rien. alors, il rappela son chien et décida de regagner Sainte Marie afin d'alerter Mr Franchin.

 

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En apprenant la nouvelle, celui se frotta les mains. 

-Ah! Foutor, va!  Mario verra à temps de quel bois je me chauffe!

Aussitôt il prit l'initiative d'organiser une chasse sur deux jours, et commanderait lui-même le détachement. On huila le fusil, on aiguisa la hache, le sabre, le couteau, on vérifia les cordes.

Les cuisiniers préparèrent boisson et nourriture....

Une véritable expédition qui ne laissait aucune chance à Mario.

Et le détachement se mit en route.

Là-haut, du côté de la Rivière des pluies, Mario n'avait changé en rien ses habitudes. La dernière fois, il avait pu échapper au chasseur parce qu'il avait appris comment se fondre dans la nature, et puis la petite Vierge n'avait cessé de le protéger un seul instant.

Hier soir, il avait grimpé en haut du rocher, il avait regardé partout et n'avait perçu aucun danger dans les parages.

Ce matin, à son réveil, le soleil ne rêvait pas encore de parcourir le ciel et les quelques rares étoiles brillaient faiblement. Il s'étira comme un chat paresseux, résista au désir de rester sous la toile de jute et finalement se leva.

-Allez, il faut se secouer parce que la journée sera longue à pêcher, à débroussailler un carré de terre du côté de la rivière, pour planter du maïs..."

Il prit du charbon, l'émietta et se brossa les dents avec. Tout en se gargarisant, il regarda mourir les étoiles. Après cela, il mit du manioc à griller sur le feu. Il ne savait pourquoi, mais ce matin là, il avait envie d'aller prendre un bon bain dans le Bassin-la-Nage.

De temps à autre, il faut bien se faire plaisir...

 

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Dans le sentier, un oiseau vint se poser sur son épaule.

Il voulut l'attraper mais celui ci s'envola. Était-ce un oiseau de mauvais ou de bon augure?

Allait-il tomber malade? Ah, ce n'était pas le moment. Et s'il allait trouver un trésor? Quel Bonheur!

-Ne rêve pas trop, Mario! Que feras-tu avec une jarre remplie d'or? Et puis, Dieu ne t'a-t-il pas déjà donné le plus grand trésor qui puisse exister sur terre?

Le jeune homme ferma les yeux, se mit à rêver encore, puis reprit le sentier jusqu'au bassin.

Après le bain, il retourna à sa case plus vaillant que jamais, cueillant en chemin des fleurs.

A peine venait-il de déposer le bouquet au pied de la vierge qu'il sentit l'air bouger, le danger était là.

Il se retourna : trop tard! Les chasseurs d'esclaves, Mr Franchin en tête, le menaçaient de leur fusil.

-Rends-toi!

Mario tomba à genoux devant la Vierge noire, et s'écria :

-Sainte Vierge, protège ton enfant!

Brusquement, les bougainvillées se mirent à pousser, pousser,à pousser, les branches s'étalant partout, recouvrant tout, cachant tout.

Feuilles, fleurs, épines se multiplièrent par cent, mille, cent mille!

 

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 -Attrapez le!

Mais qui attraper? Les bougainvillées ne cessaient de s'épaissir.

-Qu'on sabre! qu'on hache! Qu'on me coupe tout ça!

Mais quoi couper? Plus on tranchaient, plus les branches s'étalaient, grossissaient, durcissaient sous le fer.

-Le fusil : qu'on tire sur lui!

Mais sur qui tirer? les balles ricochaient sur le feuillage comme sur un bouclier...

Les années passèrent, on découvrit un jour un squelette dans les hauts de la Rivière des pluies, et au-dessus, dans le trou d'un cap, une Vierge. Une petite Vierge noire qui souriait.

Heureuse d'avoir sous les yeux le corps de son protégé, un vieil homme, un grand cafre....

Depuis, la statue fut remplacée par une plus grande, toujours noire, comme Mario, et devant elle les bougainvillées ne cessèrent jamais de pousser.

 

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03/09/2014
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